Implantation sur le marché chinois: les facteurs clés
Entrer sur le marché chinois. Une lubie toujours bien présente malgré le léger ralentissement d’une croissance qui, du haut de ses 7%, continue de faire rêver l’économie française. Un marché de 1.3 milliards composé d’une classe moyenne en pleine progression et d’entreprises locales toujours plus tournées vers les partenariats internationaux sont les deux plus grandes forces d’attraction de la Chine pour les investisseurs français.
Mais investir en Chine possède également ses obstacles. Les craintes les plus souvent évoquées peuvent être regroupées en trois points.
- La réglementation, la structure juridique et la protection de la propriété intellectuelle
- La difficulté à développer et entretenir des partenariats locaux et à rentrer dans des circuits de distributions
- La gestion quotidienne de son activité
Ces freins sont largement justifiés par la complexité de l’environnement du marché chinois. Mais pris en compte dans votre stratégie d’entrée sur le marché chinois, ils constitueront au contraire des opportunités de prise d’avantage sur vos concurrents occidentaux, souvent peu préparés à ces difficultés. Analyse point par point avec le professeur Stéphane Grand, conférencier à l’Université de l’Illinois, l’ESSEC Business School et l’Université de Leuven sur l’adaptation au marché chinois. Stéphane Grand possède plus de vingt ans d’expérience en investissement et négociation en Chine et est le fondateur du cabinet de comptabilité et de finance d’entreprise en Chine SJ Grand.
Un environnement juridique complexe
Vérifier que votre activité soit approuvée par les autorités chinoises
La première étape pour votre dossier d’implantation sera de vérifier que votre activité est approuvée par la régulation chinoise sur les investissements étrangers. Pour cela, il faut se référer au guide des investissements étrangers délivré par le ministère du commerce chinois. Par exemple, jusqu’à récemment, la Chine n’autorisait pas les activités d’exportations pour les organismes étrangers. Malgré tout, contrairement à ce que l’on pourrait penser, la tendance n’est pas spécialement à l’ouverture.
Stéphane Grand :
« La situation n’a pas, je crois, beaucoup évolué depuis le début des années 2000. En fait lors des négociations pour l’accession de la République Populaire de Chine à l’Organisation Mondiale du Commerce, le gouvernement chinois avait pris des engagements de libéralisation et d’ouverture. Si ledit gouvernement chinois considère les avoir respectés, il semble néanmoins que la communauté internationale et les gouvernements étrangers considèrent de la part qu’il n’y eu quasiment aucun progrès. Ceci me conduirait à dire que le protectionnisme prévalant avant les années 2000 n’a pas évolué. »
Pour connaitre plus précisément la situation de votre marché, vous pouvez également vous référez au plan quinquennal publié par le gouvernement chinois. Cela vous donnera une idée des industries, telles que l’high-tech ou les services, qui sont favorisées à l’instant T par le gouvernement et propices à des investissements étrangers. Dans le même temps, vous saurez que les industries polluantes sont par exemple proscrites par le gouvernement chinois.
Choisir votre structure juridique
Lorsque vous êtes sûr de la possibilité d’implanter votre activité en Chine, vous devez décider de la structure juridique de votre société. Une fois encore, la régulation chinoise sera extrêmement spécifique et quelque peu restrictive pour vos investissements. Trois structures sont possibles et usuellement utilisées : la joint venture, le bureau de représentation et la WFOE (Wholly Foreign Owned Enterprise).
La joint venture sera possible au travers d’un partenariat avec un acteur local. D’un point de vue purement juridique, la joint venture est souvent vue comme l’alternative la plus simple Mais les désavantages dans la réalisation peuvent être importants. Le principal, et le plus « effrayant » pour les investisseurs français, étant le pouvoir donné au partenaire chinois qui a alors la possibilité de prendre votre business pour lui seul. « Les avantages que l’on peut tirer d’un partenariat avec une société chinoise sont souvent contrebalancés par la différence entre les cultures d’affaires. Le système de la joint-venture est d’ailleurs en train de disparaître tranquillement. »
Le bureau de représentation est également une solution d’implantation relativement simple. C’est également la moins risquée. En revanche, il s’agit de la solution la moins flexible et la moins profitable à long terme. Elle ne vous permet pas de générer de revenu direct, au travers de la vente de services ou produits. Elle sera donc principalement adaptée pour des entreprises voulant développer leur image, se construire une marque et nouer des partenariats sur place.
La solution la plus utilisée en Chine, malgré sa complexité de mise en œuvre, est donc la WFOE – en français Entreprise à capitaux 100% étranger. Il s’agit de la seule structure qui permet de vendre en Chine, et donc de générer du contenu, en gardant un contrôle total sur la gestion de l’entreprise. Elle permet également de facturer en RMB ou encore de simplifier les démarches d’import/export sur ses produits.
Bien sûr, il s’agit également de la solution la plus scrutée par le gouvernement – explicitement ou implicitement – pour sa mise en oeuvre. Elle exige également des frais d’implantation – différents selon la localisation et le type d’activité.
Encore une fois, être accompagné par un partenaire local sera primordial pour fournir les bons documents. Ces documents devront tous être fournis en chinois, et devront répondre strictement à tous les requis de l’administration chinoise. Cela prendra ensuite plusieurs mois (en général autour de 4 mois) pour obtenir une réponse définitive.
Protéger votre propriété intellectuelle
L’une des principales craintes – fondées – des investisseurs français en Chine concerne la défense de la propriété intellectuelle. Il est essentiel de comprendre que les règles sont différentes entre vos deux pays et que même étant protégé en France, vous ne le serez pas en Chine.
En 2001, la Chine a rejoint l’OMC, ce qui a constitué une première étape vers une uniformisation de la réglementation entre le marché chinois et les autres pays. Depuis, la Chine a fait des efforts continus pour réformer sa régulation et renforcer sa loi sur la propriété intellectuelle. Malgré tout, la Chine reste loin derrière les pays européens et les risques restent importants pour les investisseurs étrangers.
Stéphane Grand :
La question de la protection de la propriété intellectuelle en Chine est une question en évolution permanente. Le vol de propriété industrielle, la contrefaçon, et d’une manière générale un manque de respect certain pour les brevets et les marques d’autrui, sont très courants en Chine. Il y a bien entendu des stratégies de bon sens à mettre en œuvre pour limiter au maximum les dommages, ou, encore mieux, agir de manière préventive. Les acteurs économiques privés et publics chinois agissent rapidement et sans aucun scrupule quand il s’agit d’enregistrer les marques d’autrui et de défendre ces enregistrements en justice. Le minimum de bon sens dicte donc d’enregistrer ses marques et brevets auprès de l’administration de la propriété intellectuelle chinoise pour pouvoir les défendre en justice dans la mesure du possible.
De toute manière, ce n’est pas parce que l’on n’a pas d’implantation en Chine que sa propriété intellectuelle n’est pas en danger. Pour une entreprise qui aurait un projet de développement international, il convient, quand bien même la Chine ne serait pas un marché cible, de protéger aussitôt que possible sa propriété intellectuelle.
Lancer les bases de votre implantation
Quels marchés privilégier ?
Une des questions primordiales de votre implantation sera de savoir où implanter votre business. Shanghai, Pékin et Guangzhou sont les trois plus grandes villes et sont évidemment les plus choisies par les investisseurs étrangers. Selon votre activité, il sera peut-être nécessaire de s’implanter dans l’une de ces villes. En revanche, les investisseurs européens ont tendance à ne pas considérer les autres localités, ce qui est une erreur. « En général, il est preferable de commencer par les villes de première catégorie car elles donnent plus de prestige à la marque et le marché est plus ouvert à de nouveaux produits. Mais il faut aussi bien comprendre qu’aujourd’hui, les relais de croissance sont dans les villes secondaires (province) », nous dit Matthieu David, CEO du cabinet d’aide à l’implantation Daxue Research. « Les prix de l’immobilier sont moins élevés et pénalisent moins la consommation. » De plus, vous positionnez, avant votre concurrence, sur ces marchés vous mettra en bonne position pour anticiper leur développement futur.
Stéphane Grand :
Définir la cible géographique de votre business en Chine est, avec la décision concernant le niveau des prix de vente des produits et services sur le marché chinois, une des décisions les plus importantes. C’est moins pour une raison de réglementation que pour des raisons d’infrastructures et d’accès à des employés suffisamment éduqués, ainsi que de niveau des salaires. Si la bande côtière chinoise a une excellente infrastructure, c’est souvent moins le cas dans l’intérieur des terres. Il y a donc une réflexion à avoir : aurez-vous besoin d’être prêt de vos clients dans l’est de la Chine ou d’avoir accès à des employés bons marchés ?
S’entourer d’acteurs d’expériences
Avoir un partenaire qualifié en Chine sera essentiel pour votre réussite en Chine. Avoir quelqu’un sur place avec une expérience du marché, et des capacités de négociations avec les acteurs locaux vous permettra d’éviter de nombreux écueils communs lors d’une entrée en Chine. Selon JX Paulin, multi-entrepreneur en Chine et en Afrique, il peut être pertinent de « faire appel aux ressources françaises locales: la Chambre de Commerce, les cabinets d’avocats, etc. Si vous êtes une PME, cherchez un cabinet à votre taille (petite équipe, à vos soins). Ceux-ci vous permettront d’approcher des partenaires locaux sans perte de temps. »
Attention toutefois, les experts déclarés sont nombreux mais peu se révéleront fiables. « Les acteurs français sont bons quand ils sont localisés, quand cela fait 4 ou 5 ans au moins qu’ils sont en Chine et qu’ils ont été confrontés aux différences des us et coutumes du marché chinois, » rajoute Matthieu David. « C’est un marché où l’on apprend que par la pratique, » rappelle JX Paulin. « Entourez-vous de personnes qui connaissent la Chine plus que la théorie chinoise. Vous gagnerez beaucoup de temps. Les théoriciens sont souvent ceux qui entrainent aux plus gros échecs.
Qu’en est-il des acteurs locaux ? Si, comme nous l’avons dit, les partenariats sont rendus difficiles par les différences de fonctionnement, ils peuvent vous permettre d’accéder à des réseaux inaccessibles pour les acteurs étrangers. Les attentes de ces acteurs locaux envers les partenaires français sont axées sur l’enseigne, la technologie, l’expertise. Parmi ces 3 cas de figure, l’enseigne est la plus dangereuse, car le partenaire ne cherche que votre nom, ou votre pays d’origine.
Stephane Grand :
Il s’agit donc pour une entreprise française souhaitant s’implanter, ou même seulement distribuer en Chine, de profiter de la présence d’homologues qui seraient déjà passés par les mêmes expériences pour éviter d’avoir à refaire des erreurs évitables. Il me paraît donc utile de se renseigner auprès de collègues, confrères et concurrents, ainsi qu’auprès de représentants de cabinets de services professionnels, comme les cabinets d’avocats ou des cabinets d’expertise comptable français en Chine, avant de se lancer dans une opération.
Déterminer le cadre de votre implantation
Pour déterminer le cadre de votre implantation, il vous sera demandé de rédiger et de communiquer auprès des autorités un business plan sur cinq ans. Pour cette étape, il faudra être le plus flexible et souple possible. Une fois que votre business plan sera approuvé par le gouvernement chinois, vous serez restreint à un cadre d’opération défini dans ce business plan. Etre trop spécifique dans cette première étape ne vous permettra alors pas de faire évoluer votre activité lors de vos premières années.
Stephane Grand :
En ce qui concerne l’approbation par les autorités chinoises, du moment où l’on a un business plan logique, qui prend en compte des besoins de financement simple, l’approbation est quasiment garantie. C’est dans la pratique, dans la réalité des faits, que le business plan prend toute son importance. Je recommanderais de faire un business plan selon des normes européennes, puis de repousser les revenus de 12 mois dans le futur, d’augmenter les coûts de 25 %, et de prendre en compte la difficulté de recevoir du financement de l’étranger. Il convient donc de voir large quant à l’investissement, en prenant soin toutefois de ne pas se surexposer.
Ensuite, la réglementation chinoise ne permet pas d’avoir des activités qui ne sont pas directement inscrites dans l’objet social tel qu’il est approuvé par le ministère du Commerce. Par exemple, une société qui n’aurait pas comme objet social la location de bureaux ne pourrait pas louer une partie de ses bureaux. Il convient donc d’essayer d’obtenir l’approbation de l’objet social le plus large possible, dans une mesure réaliste ainsi que dans les limites du projet, afin de ne pas être contraint dans ses activités par la suite.
Assurer la gestion quotidienne de son activité et son développement
Recruter une équipe multiculturelle
La phase de recrutement en Chine est souvent décrite comme la plus compliquée et aléatoire par les entrepreneurs français. Trouver des personnes parlant anglais ne doit pas être le seul requis et trouver les personnes prouvant d’une bonne compréhension de votre business et d’une capacité à s’adapter à un fonctionnement européen pourra être difficile. « Les entreprises étrangères ont tendance à valoriser les compétences linguistiques sur les compétences principales et c’est un tort » déplore Matthieu David. « Le plus compliqué est de recruter sur des marchés nouveaux comme le e-commerce où les compétences sont rares. Faites travailler des jeunes français/es de toutes origines. Vous serez très vite surpris par leur capacité d’adaptation au marché et par leurs performances. Les Européens en Chine, de part leur démarche d’expatriation, ont un profil beaucoup plus entrepreneurial. »
Ensuite, ces spécificités propres aux travailleurs chinois doivent également être prises en compte dans la relation quotidienne et l’organisation du travail. « L’Occident s’est construit sur la logique cartésienne, la maïeutique de Socrate ou la force de la loi et de la vérité (révélée ou scientifique), » rappelle Matthieu David. « La Chine s’est construite sur les principes de loyauté, une vision plus bilogique que mécanique de la société faite d’équilibre et moins de rapports de causalité. Cela se ressent partout. Dans la gestion des affaires courantes, on peut se réjouir de la réactivité des Chinois mais regretter le manque de prévoyance par exemple. »
Stephane Grand :
La relation de travail en Chine n’est pas toujours beaucoup plus flexible qu’elle l’est en France. Il convient donc de procéder par tout petit pas, non seulement dans le processus de recrutement, qui demande une vraie vérification des antécédents, des diplômes et de la compétence, mais aussi dans la relation de travail. Dans la culture chinoise un patron, une entreprise, demande plus de la soumission que de l’efficacité. Dans un système à l’occidentale, ou l’efficacité est encadrée dans des relations d’autorité, il y a finalement beaucoup de non-dits. Or, ces non-dits que l’occidental considère comme acquis et partagés par tout le monde, ne le sont pas en Chine. Il s’agit donc de mettre en place des systèmes de management, de gestion de la performance, de surveillance et de formation clairs, précis, souvent mis à jour et qui seront eux-mêmes objets de formation. A nouveau, rapprocher des cultures aussi différentes que la culture chinoise et la culture occidentale demande de procéder à tous petits pas.
Le système occidental, basé sur l’autorité et des positions bien identifiées dans une organisation qui rappelle un peu celle des forces armées, est fait pour promouvoir une efficacité mesurable qui donne lieu à des primes et des promotions. Pour faire fonctionner une entreprise étrangère correctement en Chine, dans un univers culturel et intellectuel complètement différent, il convient de mettre en place des procédures identifiées qu’il faudra faire respecter à la lettre. Dès lors qu’un domaine d’activité n’est pas surveillé, le chaos reprendra ses droits.
Evaluer la compétition locale et l’accès au marché
Le succès en Chine passe également par une bonne dose de patience. Les chinois ont leurs propres étiquettes et façon de faire du business. Penser qu’ils s’adapteront, sur leur marché domestique, aux acteurs européens seraient une grande erreur.
Savoir observer, se baser sur son expérience et s’adapter seront des compétences essentielles à mettre en place. La concurrence est un phénomène intrinsèque à la culture entrepreneuriale chinoise. En un mot, si vous n’avez pas de concurrents, c’est que votre produit n’est pas bon. La meilleure façon de s’en démarquer est toujours d’innover et d’être rapide.
« Il s’agit de sortir pour tester un produit auprès du marché, de revenir au bureau pour modifier le produit, le reproposer au marché jusqu’à ce que l’on arrive à un « tipping point », un moment où on voit un momentum » selon Matthieu David.
Les produits occidentaux ne peuvent survivre que sur un segment haut de gamme. La baisse de l’euro rend ce segment plus abordable et il y a une vraie opportunité pour les sociétés européennes à exporter vers la Chine. L’essentiel est de construire une communauté autour de vos produits de manière à pénétrer le marché. Les entreprises étrangères n’ont pas saisi à quel point cela est important, en particulier quand leur ADN n’est pas encore connu par les consommateurs locaux.
Après la Chine, quels peuvent être les prochains marchés à grand potentiel ?
Malgré la complexité d’une implantation en Chine, cela reste un incontournable pour une internationalisation. Est-ce toujours le marché le plus pertinent ? Quels peuvent être les nouveaux marchés dominants ? « Même si le clientélisme existe en Chine, il est productif et vous obtiendrez souvent ce que vous désirez, si vous savez vous y prendre » nous dit JX Paulin, expert de la Chine comme de l’Afrique. « L’Afrique a un énorme potentiel mais le clientélisme non-productif, surtout en Afrique francophone auquel s’ajoute une bureaucratie effarante, retarde son développement. Il faudra chercher en Afrique anglophone pour avoir un dynamisme et une croissance qui s’approche du modèle Chinois des années 90 et qui a beaucoup de chance de porter ses fruits dans les 10 prochaines années. »
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