Aujourd’hui, plus personne ne s’étonne de voir des individus faire la queue de longues heures devant les magasins Apple lors de la sortie du dernier Iphone. Cependant, depuis quelques mois, une marque chinoise a convaincu ses clients d’attendre patiemment en ligne pour un produit bien différent. En effet, depuis mi-février 2017, la ville de Shanghai a succombé à la mode du cheese tea (en chinois : 奶盖茶 naigaicha), un thé surmonté d’une couche de fromage frais, menant à des files d’attente interminables en face des boutiques d’HEYTEA en Chine (en chinois : 喜茶 xi cha). Confronté à cette foule de consommateurs, prête à attendre jusqu’à cinq heures pour un simple gobelet de thé, on peut s’interroger sur la stratégie mise en place par la marque pour générer une telle frénésie.
Tout d’abord, la chaîne est opportunément positionnée sur le segment des cafés et boissons en restauration rapide, qui rencontre actuellement une forte demande en Chine. En 2016, le magazine Finance & Accounting of Chinese Trade Unions (中国工会财会) rapportait que la restauration rapide constituait le marché le plus profitable en Chine. La bonne vitalité de cette activité s’explique par des coûts réduits, un faible investissement en matériel, compris en moyenne entre 20 000 et 100 000 yuan et généralement amorti entre 6 à 9 mois, permettant aux boutiques de boissons et autres snacks de générer des revenus élevés, et de dégager un bénéfice net compris en moyenne entre 25 et 35 % de leurs chiffre d’affaires. Enfin, cette tendance a également été renforcée par l’évolution des habitudes de consommation de la génération Y chinoise qui préfère manger à l’extérieur plutôt que de cuisiner à domicile.
Sur ce marché, la concurrence est féroce. HEYTEA doit non seulement faire face aux grandes chaines mondiales telles que Starbucks (星巴克), Coffee Bean (香啡缤), ou Mac Café (麦咖啡), mais également à ses concurrents locaux tels que Regiustea (天御皇茶), Coco (都可茶饮), 85 Degree Bakery Cafe (85度C) et Hey Juice (茶桔便).
Le Starbucks du thé
Depuis février 2017, le buzz suscité par HEYTEA en Chine a propulsé la marque au rang de phénomène culinaire en Chine, au même titre que les wang hong (网红), les célébrités du web chinois. D’après Yuwan Hu, responsable de projet au sein de Daxue Conseil, le fondateur de la marque de cheese tea, Yunchen Nie (聂云宸), s’est inspiré de Starbucks pour créer sa propre chaîne de boissons dédiée au thé. Âgé de tout juste dix-neuf ans, en 2010, il lance son premier business, mais ne parvient pas à le faire fructifier. Bien que brève, cette première expérience entrepreneuriale ne fut cependant pas un échec total, puisque celle-ci lui a permit de rebondir et de fonder ROYALTEA (en Chinois : 皇茶 ; pinyin : huangcha) un an plus tard, dans sa ville natale de Jiangmen (江门 ). Il lui faudra tout de même cinq ans, avant qu’il ne renomme sa marque HEYTEA le 26 février 2016. Cette décision avait pour raison principale de protéger la marque dont le nom faisait l’objet de nombreuses contrefaçons. De plus, ce changement de nom, dont les caractères chinois (喜茶) peuvent être traduits littéralement comme « thé joyeux », a permis à HEYTEA de se doter d’une nouvelle image, plus dans l’air du temps. Malgré tout, de nombreuses marques continuent à copier la chaîne lancée par Nie, et tentent de s’allouer la paternité de ROYALTEA. Afin de mettre un terme à la prolifération de ces contrefaçons, l’entreprise a officiellement annoncé via son site web que la totalité des points de vente précédemment établis sous la bannière ROYAL TEA, avait été convertie en magasins HEYTEA. Par conséquent, tous les magasins restant dénommés ROYAL TEA n’ont aucun lien avec la marque créée par Yunchen Nie.
A gauche, le logo de HEYTEA (précédemment ROYAL TEA). A droite, la nouvelle identité de la marque, plus tendance, lancée en février 2016.
En août 2016, la petite entreprise née dans la province chinoise du Guangdong (广东), reçoit un double investissement de la part de s’élevant à 100 million de yuan. Cet apport financier permis à HEYTEA de s’étendre à plusieurs autres villes. HEYTEA possède à présent plus d’une cinquantaine de points de vente à travers la Chine. Grâce au buzz suscité par HEYTEA en Chine, et plus particulièrement dans les boutiques de Shanghai et Shenzhen, le chiffre d’affaires de la chaîne s’élève en moyenne à plus d’un million de yuan par mois et par points de vente (environ 2000 gobelets de thé vendus par jour par magasin). Le chiffre d’affaires le plus important est réalisé à Shenzhen, où un point de vente réalise à lui seul un chiffre d’affaires compris entre 1,5 million et 1,7 million de yuan par mois. Encore aujourd’hui, de nombreux consommateurs sont prêts à patienter de longues minutes avant de pouvoir déguster un thé HEYTEA. Comment expliquer un tel engouement et quelles sont les raisons du succès fulgurant de cette chaîne chinoise, restée dans l’ombre pendant plus de six ans ?
À travers l’analyse du marketing mix de HEYTEA, on retrouve de nombreux éléments stratégiques similaires à ceux mis en place par Starbucks. Cela nous amène à penser que le fondateur a été en grande partie influencé par le géant du café lors de la création de son business plan. Tout comme les marques de luxe avec le marketing de la rareté, la stratégie du jeune entrepreneur, aujourd’hui âgé de 25 ans, consiste à attiser la curiosité, susciter le désir etcréer dans l’esprit du consommateur un sentiment de privilège.
Shanghai, Taikang Road (泰康路), devanture de la boutique HEYTEA le 19 Mai 2017 : Des consommateurs attendent patiemment, parfois pendant plus d’une heure, avant de pouvoir déguster un des thés HEYTEA. Crédit Photo : Daxue Conseil.
Un produit suscitant des attentes élevées
La dernière tendance culinaire en Chine est donc le cheese tea, un thé constitué de deux couches : une base de 80% de thé (thé vert ou aux fruits) à laquelle vient s’ajouter 20% de nappage de fromage frais (奶盖 naigai). Cette couche supérieure peut être au choix sucrée ou salée. HEYTEA a cependant adopté une stratégie bien différente de celle de Starbucks concernant les ingrédients utilisés. En effet, bien que HEYTEA ait fait un effort sur le sourcing de son fromage frais, fourni par Meiji (reconnu pour ces produits de qualité, la chaîne utilise cependant des feuilles de thé considérées comme étant d’une qualité plutôt moyenne.
Un blind test conduit en mai 2017 par le « Groupe des testeurs de Shanghai » (魔都食鉴局) a évalué les boissons de 19 chaines de thé en Chine. Or, les résultats obtenus par HEYTEA sont peu flatteurs pour la marque. En effet, bien que le test ait décomposé les différents ingrédients de chaque thé proposés, HEYTEA n’a jamais réussi à se hisser au top du classement. Pire encore, la marque s’est placée parmi les cinq plus mauvais élèves des différentes catégories du test à l’aveugle. Son concurrent Yi Dian Dian (一点点) s’est au contraire révélé comme le grand vainqueur, arrivant premier dans la plupart des catégories. Seul le thé vert fourni par HEYTEA a été en mesure de se placer parmi les meilleurs des 19 concurrents. Cependant, même dans cette catégorie, HEYTEA n’a pas su déloger le champion Yi Dian Dian de la première place.
Afin d’améliorer la valeur perçue de ses produits, HEYTEA a completement repensé ses menus à plusieurs reprises. Ainsi, un produit nommé au départ « Fromage frais et thé vert » (en Chinois 芝士奶霜绿茶) est à présent dénommé “ Beauté verte” (绿妍). De même, chacun des produits proposés par la marque s’est vu allouer un nouveau nom plus tendance, afin de remplacer le nom originel plus descriptif.
Au cours des six dernières années, HEYTA a revu cinq fois son menu. Source: Jiemian website, (界面).
Un prix au-dessus du marché
Au regard de sa politique de prix, HEYTEA a fait le choix de se positionner dans la catégorie des produits à forte valeur ajoutée. Les thés HEYTEA se vendent à des prix variant entre 11 et 29 yuan, pour un prix moyen de 25 yuan. En comparaison, Yi Dian Dian (le champion du blind test évoqué précédemment) propose un thé à un prix bien inférieur. Chaque boisson commercialisée par l’enseigne coûte entre 6 et 18 yuan, pour un prix moyen de 14 yuan., Coco Dukou (Coco 都可), Miguo (蜜菓), Happy Lemon(快乐柠檬), et Gong Cha (贡茶) affichent un prix moyen de 15 yuan par boisson.
Une expérience culinaire
Les attentes et exigences des consommateurs de la classe moyenne chinoise augmentent à mesure que leur niveau de vie s’améliore. Plus riches que la génération de leurs parents, ces nouveaux consommateurs sont prêts à payer davantage pour une qualité supérieure, des marques premium, ou des produits aux caractéristiques particulières, leur permettant de se différencier et d’affirmer leur personnalité. Disposant d’un plus large choix d’options, ces jeunes consommateurs sont également bien plus curieux que leurs prédécesseurs, et plus enclins à tester de nouveaux produits ou marques (l’attrait est toujours aussi fort pour les produits occidentaux), tenter de nouvelles expériences, technologies ou plateformes. En Chine, ce phénomène s’observe particulièrement dans le secteur de la restauration. Pour se démarquer sur ce marché, le lancement seul d’un nouveau produit ne suffit plus : les restaurateurs doivent surtout susciter le désir ou la curiosité en proposant une expérience inédite. Cette stratégie est désormais la nouvelle norme pour satisfaire les attentes de la . À partir de ce constat, Yunchen Nie s’est efforcé de créer un savoir-faire et une expérience particulière autour de ses thés, et particulièrement dans la façon de les boire. Ainsi, en magasins, les employés doivent s’assurer que les nouveaux clients savent comment boire le thé HEYTEA et donner des instructions précises. Ils déconseillent par exemple de le mélanger ou d’utiliser une paille.
Toujours dans le but d’augmenter la valeur perçue de ses produits, HEYTEA a conçu un packaging élaboré, servant le discours de la marque. Transparent, permettant d’admirer les deux couches de couleurs constituant la boisson parfois saupoudrée de feuilles dorées, le gobelet est surmonté d’un couvercle dont l’ouverture ajustable permet au consommateur de pouvoir doser la quantité de chaque couche selon son envie et donc d’en maximiser le goût. Cette façon de boire, recommandée par HEYTEA, possède également un autre un intérêt pour la marque : le couvercle laisse une fine moustache de crème au-dessus des lèvres. Un résultat anodin qui a pourtant grandement participé à créer le buzz autour de la marque, dans la mesure où cette moustache amusante fait bien souvent l’objet d’un selfie, immédiatement partagé sur les réseaux sociaux.
HEYTEA utilise son packaging pour diffuser son storytelling: sur le couvercle de ses gobelets, la chaîne explique comment boire un thé HEYTEA en utilisant l’ouverture ajustable. Credit Photo: Daxue Conseil.
Des emplacements de choix
Inspirés des magasins Starbucks, les boutiques d’HEYTEA en Chine offrent un intérieur moderne, design et raffiné. À travers le choix d’implantation de ses points de vente, la chaîne de thé a encore une fois cherché à augmenter la valeur perçue de ses produits en s’installant dans les quartiers ou les centres commerciaux les plus prisés. À Shanghai par exemple, la marque a ouvert une boutique dans le centre commercial Raffles City (en chinois : 来福士广场), situé en plein cœur de la ville sur la Place du Peuple, l’une des zones les plus touristiques de la ville. En choisissant cet emplacement, HEYTEA a ainsi pu atteindre sa clientèle cible, les jeunes urbains branchés de moins de 30 ans, disposant d’un fort pouvoir d’achat. Cette stratégie a également été celle de Starbucks lors de son déploiement dans le pays.
De la même manière, à Shenzhen, HEYTEA s’est implanté dans le centre commercial MIXC (en chinois : 华润万象城) et plus précisément, juste à côté d’une boutique Prada. Cet emplacement n’est pas choisi par hasard. En s’installant àproximité de la boutique d’une célèbre marque de luxe, où les clients peuvent êtreamenésà faire la queue, tout comme pour HEYTEA, Nie souhaitait renforcer le sentiment d’appartenance et de rareté,une tactique marketing généralementattribuée aux marques de luxe.
Aujourd’hui, HEYTEA est implanté dans plusieurs villes de premier rang, avec douze points de vente à Shenzhen (深圳), trois points de vente à Shanghai (上海), et dix points de vente à Guangzhou (广州). Conformément à la stratégie de la marque, la quasi-totalité de ces boutiques est installée dans des centres commerciaux haut de gamme. HEYTEA est également présent à travers un réseau de dix-neuf magasins dans la province du Guangdong (广东), dont est originaire son fondateur, et deux points de vente dans la province du Guangxi (广西).
Bien que présent dans un grand nombre de villes chinoises, HEYTEA n’a pourtant pas créé le buzz de la même manière partout. D’après nos recherches, il n’y a qu’à Shanghai où l’ouverture de magasins a donné lieux à d’interminables files d’attente. En effet, malgré la popularité certaine d’HEYTEA en Chine, dans d’autres villes telles que Shenzhen ou Guangzhou, il n’est pas nécessaire d’attendre plus d’une heure avant de pouvoir acheter un thé HEYTEA. Cette différence pourrait s’expliquer par la disparité importante du nombre de magasins ouverts dans ces villes. Ainsi, alors que la marque a établi de nombreux magasins à Shenzhen ou Guangzhou, elle ne possède que trois magasins à Shanghai. Ce faible maillage de la ville a ainsi pu renforcer le sentiment de rareté lié au produit dans l’esprit du consommateur.
La stratégie de HEYTEA peut être assimilée au marketing de la rareté utilisée par de nombreuses enseignes de luxe. L’exemple du concept store HEYTEA Black (喜茶黑金店), le démontre parfaitement : depuis janvier 2017, HEYTEA a lancé à Shenzhen un concept store unique dédié au thé noir. Ce magasin entièrement conçu en noir et or, a connu le même succès que ceux de Shanghai. La promesse de la marque d’offrir un produit inédit dans un magasin unique a créé ce même effet de rareté. Alors que les autres boutiques HEYTEA de Shenzhen (bien que populaires) ne provoquent pas d’attroupement particulier, la file d’attente devant HEYTEA Black ne désemplit pas.
Quatre mois après l’ouverture du concept store HEYTEA Black (喜茶黑金店) à Shenzhen en janvier 2017, la file d’attente devant le magasin ne desemplit pas. Photo Source : Toutiao
Une campagne promotionnelle ciblant Shanghai
Lors de notre étude sur Weibo (微博), le site de microblogging chinois, nous avons découvert que le buzz autour de HEYTEA en Chine a débuté à la fin du mois de février 2017. Avant cette date, HEYTEA était très peu mentionné par les internautes sur les réseaux sociaux, et n’apparaissait nulle part dans les medias. Sans surprise, il n’y avait alors pas foule devant les boutiques HEYTEA.
Tout est parti d’une simple publication, postée sur Weibo le 9 février 2017 par l’internaute « TheMorpheus ». qui a soudainement suscité de nombreuses interactions. Spécialisée dans l’alimentaire et les cosmétiques, cette KOL (Key opinion leader ou influenceur en ligne) suivie par plus de 30 000 followers sur Weibo, n’avait jamais atteint une si large audience auparavant.
Le tweet publié sur Weibo le 9 février 2017 par l’influenceuse “TheMorpheus” déclarait « HEYTEA arrive…Entre Yi Dian Dian et moi, c’est terminé ». Source: Weibo
Ce post étonnamment populaire par rapport à l’engagement habituellement généré par la KOL, a ainsi enregistré 5 196 partages, 3 567 commentaires et 2 169 mentions j’aime. Il est à noter qu’auparavant, les publications de cette influenceuse atteignaient péniblement les 200 mentions j’aime et 100 partages ou commentaires. Dans ce tweet, TheMorpheus écrivait : « HEYTEA arrive…Entre Yi Dian Dian et moi, c’est terminé ». La mention du concurrent Yi Dian Dian, ainsi que le timing de cette publication, sont particulièrement intéressants au regard du calendrier du lancement d’HEYTEA en Chine: premièrement, car Yi Dian Dian est une marque de cheese tea particulièrement appréciée à Shanghai. Ensuite, car deux jours plus tard, le 11 février 2017, HEYTEA lançait son premier magasin au sein du Raffles City (来福士广场), inaugurant par la même occasion son arrivée à Shanghai.
L’efficacité prouvée des KOL en Chine
Lorsque l’on analyse la genèse du buzz instantané généré autour de ce tweet, on s’aperçoit qu’au cours des quelques heures qui ont suivi sa publication, de nombreux KOL chinois de renom ont commencé à reprendre ce message et à abonder dans le même sens que la bloggeuse. La popularité soudaine d’une KOL peu connue, due à un tweet relativement banal et dans un laps de temps particulièrement court, semble indiquer qu’HEYTEA aurait payé des influenceurs afin d’augmenter sa notoriété. À travers l’analyse des commentaires, partages et mentions j’aime liés au poste de TheMorpheus, nous avons identifié deux types d’influenceurs en ligne auxquels HEYTEA a probablement du faire appel pour son lancement à Shanghai :
- Les influenceurs « food» pour la crédibilité
La première catégorie d’influenceurs identifiée par notre équipe est celle des blogueurs culinaires. En Chine, une campagne promotionnelle passant par les experts d’une industrie est un moyen efficace de gagner en crédibilité et en légitimité. En effet, le public chinois est particulièrement enclin à faire confiance à la capacité de ces experts pour évaluer la qualité d’un produit. Différents comptes WeChat (微信) spécialisés food – la plupart étant basés à Shanghai – ont ainsi publié des articles positifs concernant HEYTEA. Cependant, cette stratégie a un certain coût. Faire appel à ces derniers induits généralement une compensation financière comprise en moyenne entre 400 et 4 900 yuan par tweet sur Weibo. Par exemple, le compte Chichihuo365 (吃货我最大365), a également partagé un article sur WeChat portant sur HEYTEA. Pour une opération publicitaire de ce type, cette influenceuse se fait en moyenne rémunérer entre 1,300 et 3,800 yuan par article.
- Les blogueurs humoristiques pour la visibilité
Pour se faire connaître des habitants de Shanghai, HEYTEA a également souhaité diffuser son message à une cible la plus large possible. Afin de booster la notoriété d’une marque ou d’un produit, la tendance consiste à faire appel aux influenceurs humoristiques. Sans être spécialisés dans un domaine en particulier, ces nouveaux influenceurs sont extrêmement populaires auprès des jeunes chinois, et sont largement suivis sur les réseaux sociaux et plateformes de live streaming. Offrant une visibilité maximale aux marques, les tarifs des plus populaires d’entre eux sont beaucoup plus élevés que les KOL dits experts.
D’après notre analyse du profil des KOL ayant pris part au buzz d’HEYTEA en Chine, la marque a probablement dû consentir, selon les cas, à verser une compensation comprise entre 300 et 23 000 yuan par publication, selon la notoriété des influenceurs.
Les tarifs de différents types de KOL varient en fonction de leurs caractéristiques, de leur nombre d’abonnés, ainsi que du degré d’engagement moyen que suscitent leurs contributions ( nombre de partages, commentaires et mentions j’aime).Peu accessibles et de plus en plus contestés, ils restent tout de même un moyen très efficace de promouvoir une marque auprès des consommateurs chinois. En plus du tarif élevé, le principal inconvénient de cette méthode est qu’il ne fournissent aucune garantie concernant les effets de leurs publicités sur la cible visée.
M大王叫我来巡山 (M Da Wang Jiao Wo Lai Xun Shan) suivi par 4 961 342 abonnés, est l’un des KOL à avoir reposté le tweet de TheMorpheus. Traduction de son commentaire : « Il y a une nouvelle boutique de thés ouvrant à Shanghai, attentez-vous à ce que je l’essaye ». L’influenceur tarife un post promotionnel de ce genre plus de 20 000 yuan aux marques. Source: Weibo.
Attirer la foule autour du magasin
Dans le but de faire de ce buzz en ligne une réalité, HEYTEA aurait également utilisé une méthode peu connue du grand public, mais redoutablement efficace en Chine. De nombreux articles ont révélé que, bien qu’HEYTEA se soit excusé à plusieurs reprises pour l’attente interminable subie par ses clients en boutique, la marque aurait employé de faux consommateurs afin de créer de gigantesques files d’attente. Cette technique n’est pas nouvelle. Lors de son arrivée en Chine en janvier 1999, Starbucks avait également été accusé d’utiliser ce procédé afin de susciter l’intérêt des consommateurs. S’il est très probable qu’une part de la file d’attente devant les boutiques HEYTEA à Shanghai soit factice, compte tenu du temps d’attente excessivement long, cette stratégie s’avère payante, dans la mesure où elle attire effectivement de véritables consommateurs. Autre avantage de cette technique : pour patienter, les consommateurs partagent des photos de la foule, amplifiant le bouche à oreille viral autour de HEYTEA.
Au début de son buzz à Shanghai, la plupart des commentaires liés à HEYTEA mentionnaient le temps d’attente et la foule amassée devant le magasin. Cette mania a entrainé l’apparition d’un marché gris, où de nombreux revendeurs réalisent de juteux profits en commercialisant le même produit le double de son prix à l’entrée de la boutique, permettant ainsi à leurs clients de pouvoir déguster un thé HEYTEA sans avoir à faire la queue pendant plus d’une heure. Ce phénomène de fraude appelé « Yellow Cattle » (黄牛; pinyin: Huang Niu ; traduction littérale : Bœuf Jaune) a contraint HEYTEA à limiter l’achat à deux boissons par personne, engendrant de nombreux commentaires sur le web chinois et alimentant de ce fait le buzz autour de la marque.
Shanghai, Taikang Road (泰康路), aux alentours de la boutique HEYTEA : La popularité de HEYTEA a fait naitre un marché gris, où des individus revendent les thés de la chaîne deux fois plus cher aux clients ne souhaitant pas faire la queue. Crédit Photo: Daxue Conseil.
HEYTEA ou le parfait exemple d’une campagne de marketing viral réussi
En résumé, HEYTEA a travaillé les différents ingrédients de son marketing mix afin de maximiser la qualité perçue de ses produits, et a particulièrement misé sur la promotion, par le biais d’une campagne de marketing viral efficace. Malgré son positionnement haut de gamme, la chaîne n’a pas investi dans des ingrédients de première qualité pour l’élaboration de ses thés. Les produits HEYTEA ne présentent pas d’avantage majeur par rapport à la concurrence. Afin de pallier cette absence d’avantage concurrentiel, HEYTEA a tout misé sur son image de marque, et a choisi d’employer la stratégie d’écrémage pour son positionnement prix, avec un prix plus élevé que ses concurrents. Pour embellir son storytelling, HEYTEA s’est attribué la paternité du cheese tea. Cette histoire ne permet pas non plus à HEYTEA de se démarquer de la concurrence, car non seulement ce type de boisson n’est pas une nouveauté en Chine, mais Siyun Naigai Gongcha (四云奶盖贡茶), une autre marque chinoise de boissons, distribue également du thé agrémenté de mousse de fromage frais depuis une dizaine d’années déjà, contre seulement six ans pour HEYTEA.
HEYTEA a cependant réussi à augmenter la valeur perçue de ces produits grâce aux caractéristiques intangibles de ce dernier. Dans un premier temps, la chaîne a tout mis en œuvre pour donner l’impression au consommateur d’une expérience inédite et originale. Ensuite, la marque a justifié son prix de vente élevé grâce à une implantation dans des zones touristiques et des centres commerciaux associés au luxe.
Pourtant, outre le concept store de Shenzhen, il n’y a qu’à Shanghai que la marque a fait l’expérience d’une popularité démesurée. Ce succès peut être en grande partie imputé à la campagne promotionnelle spécifique dont la ville a fait l’objet. L’utilisation judicieuse des influenceurs en ligne a permis de relayer la promesse de vente et ainsi de gagner en visibilité et en crédibilité. Tous ces éléments travaillés de concert ont permis à la marque de se forger une image de marque tendance dans l’esprit des Shanghaiens. Pour finir, le succès est également passé par la transposition du buzz dans la vie réelle, matérialisé par les files d’attentes interminables devant les magasins HEYTEA.
Le phénomène des produits alimentaires superstars (网红食物) en Chine
Le terme “wanghong” (网红) fait référence aux célébrités du web chinois. Ces influenceurs en ligne possèdent une forte audience du fait de leurs nombreux abonnés, suscitent un fort engagement de la part des internautes, et se retrouvent occasionnellement dans la section « Hot topic » de Weibo. Dérivé du terme wanghong, le phénomène plus récent des “wanghong shiwu” (网红食物), qui signifie littéralement « aliment(s) star du web », fait référence aux marques ou aux tendances alimentaires qui bénéficient d’une notoriété conséquente et soudaine sur Internet. Grâce aux réseaux sociaux, ils deviennent rapidement des sujets tendances dans les conversations WeChat, et sont très vite relayés par les micro blogs. Selon Evelyn Chen, responsable de projet senior au sein de l’équipe recherche de Daxue Conseil, alors que le terme « wanghong » est apparu autour des années 2010, son dérivé, “wanghong shiwu”, est lui apparu il y seulement cinq ans.
En Chine, les recommandations en ligne faites par les amis, connaissances ou par des internautes ont plus d’influence que les discours des marquesusant de leurs techniques publicitaires traditionnelles. De plus, les consommateurs chinois ont une forte propension au partage de photos et d’avis sur les réseaux sociaux lors de leurs sessions shopping ou suite à une expérience avec un produit ou une marque. Cette particularité a pour conséquence d’engendrer la naissancerépétée etquasi-instantanée de tendances Internet, induisant souvent d’interminables files d’attentes devant certaines enseignes, « victimes » de leur succès. Mais tandis qu’une attente interminable sera rédhibitoire pour la plupart des consommateurs étrangers, allant jusqu’à leur faire renoncer à leur achat,une foule devant un magasin sera considéré comme un indicateur de qualité et de prestige pour les consommateurs chinois, etfaire parti de ce mouvement, comme un marqueur social.
HEYTEA est loin d’être le premier phénomène “wanghong shiwu” en Chine. Certaines chaînes de restaurants telles que Gelaoguan Chongqing Bullfrog Hot Pot (哥老官重庆美蛙鱼头) – une chaîne réputée pour ses fondues chinoises – ou Xinghualou Qingtuan (杏花楼青团) – une enseigne commercialisant des desserts traditionnels chinois – ont également connu le même engouement en 2016, et ont réussi à maintenir l’intérêt des consommateurs à la suite de leurs buzz respectifs. Une fois la phase de lancement terminée, maintenir la popularité de la marque est un véritable challenge. Certaines enseignes telles que Yang Wang Bao Jiao Bu (仰望包角布), qui produisait des pâtisseries traditionnelles chinoises, ont disparu peu après que les files d’attentes se soient évanouies. En effet, seulement quelques mois après leur pic de popularité, de nombreuses marques font face au désintérêt soudain de leur clientèle. Bien souvent, ce désintérêt se manifeste suite à la multiplication des points de vente. En facilitant l’accès à leurs produits, les marques en amoindrissent par la même occasion leur prestige, qui ne repose parfois que sur un phénomène de mode.
Ces phénomènes sont tellement fréquents que des applications telles que “Linqu” (邻趣), ont vu le jour : destinée aux consommateurs chinois, cette application permet d’engager une personne pour patienter à sa place dans une file d’attente contre 0,5 yuan par minute.
HEYTEA en Chine: six ans dans l’ombre pour quatre mois de célébrité
Depuis sa création, la marque fondée par Yunchen Nie, est restée largement invisible aux yeux du grand public pendant six longues années. Même son changement de nom (de ROYALTEA à HEYTEA) en février 2016 n’a pas suffit pour attirer l’attention des adopteurs précoces (ou early adopters).
La tendance s’inverse à partir du 11 février 2017, date du tweet de la KOL TheMorpheus. La marque se retrouve alors propulsée au rang des « wanghong shiwu » :
- Une semaine après la publication du fameux tweet, le nombre de publications liées à HEYTEA sur Weibo, boosté par l’intervention de nombreux influenceurs citant la marque, ont explosé. Dans le même temps, de plus en plus de journaux et d’internautes commençaient à parler de la marque alors que les files d’attente s’allongeaient devant les boutiques de la chaîne.
- Un mois plus tard, la marque atteignait le sommet de sa gloire, et des articles évaluant les produits HEYTEA ou contenant des descriptions plus détaillées concernant son menu étaient publié Dans le même temps, les KOL commençaient à partager directement sur leurs pages des photos des produits HEYTEA.
Dans le graphique ci-dessus, on observe une augmentation visible de la popularité de HEYTEA dès le 9 février 2017, avec un pic le 30 mars 2017. Le 26 mars, le terme « HEYTEA » a enregistré 9 541 recherches sur Baidu, puis devient soudainement très populaire avec 25 909 recherches enregistrées le 30 mars 2017.
Cependant, comme le montre l’index Baidu ci-dessus, le buzz entourant la marque en Chine connaît maintenant un déclin continu. Les titres des journaux démontrent également une évolution importante de la discussion autour de HEYTEA, depuis que la marque a atteint sa popularité maximale au mois de mars :
- Lors de l’inauguration de la première boutique HEYTEA à Shanghai, les journaux évoquaient principalement le temps d’attente ou le quota limitant l’achat des produits de la chaîne. Le 30 mars dernier, sohu.com (搜狐科技) publiait par exemple un article intitulé « HEYTEA devient un nouveau wanghong et devra à présent être acheté sur présentation d’une carte d’identité », faisant référence à la revente illégale des produits HEYTEA et à la limitation d’achat fixée à deux thés par personne.
- Avec le temps, l’intérêt des journaux s’est déplacé sur la popularité en baisse d’HEYTEA, mais également sur l’évaluation (souvent négative) de la qualité de ses thés en comparaison avec ses concurrents. Le 5 mai 2017, le même site internet publiait un nouvel article intitulé « HEYTEA se suicide » et affirmait qu’HEYTEA ne maintenait son buzz uniquement grâce aux faux consommateurs payés pour grossir les files d’attentes de ses propres boutiques.
Comme rappelé au début de cet article, HEYTEA a levé 100 million de yuan venant de deux fonds d’investissements chinois, ce qui a permis son développement au niveau national. Mais compte tenu des efforts déployés par la marque pour maintenir le buzz en vie, certains journalistes spéculent déjà sur sa capacité à rembourser ses investisseurs. De plus, étant positionné sur un secteur avec de faibles barrière à l’entrée, HEYTEA devrait avoir à revisiter son menu fréquemment afin de préserver l’intérêt des consommateurs. HEYTEA n’est pas en phase de déclin total pour autant. Il est important de noter qu’en dépit des critiques négatives, de longues files d’attente sont toujours visibles face aux magasins HEYTEA cinq mois après son lancement à Shanghai. Cependant, comme dans de nombreux secteurs, l’apparition d’une nouvelle mode aura pour conséquence de mettre fin à la précédente. Cette observation est d’autant plus vraie concernant les wanghong shiwu.
Photo principale: Crédit Photo: Daxue Conseil.
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— Daxue Conseil (@Daxue_Conseil) 24 juillet 2017