L’étude des comportements et des tendances de fond qui animent la génération Y prendra de plus en plus d’importance du fait de l’augmentation de leur pouvoir d’achat. Ce groupe de consommateurs férus de technologie, hyperconnectés et éduqués, prend une part de plus en plus importante dans l’économie globale. La génération Y représente pratiquement un tiers de la population chinoise, soit plus que la totalité de la population active aux États-Unis. Au total, on compte environ 400 millions de jeunes Chinois, nés entre l’introduction de la politique de l’enfant unique en 1980 et l’an 2000.
Une tendance majeure chez cette classe d’âge est la diminution du temps passé à cuisiner pour eux-mêmes. Ils préfèreront commander leur repas ou manger à l’extérieur. Une étude réalisée en ligne par l’agence de presse Chine Nouvelle (reproduite ci-dessous) montre que 44 % des millennials Chinois ne mangent à domicile que deux jours maximum par semaine. Une enquête sur la consommation mondiale réalisée par l’Association de la Viande et du Bétail domestique de l’Australie (MLA) fait état de résultats similaires, selon laquelle 43 % des consommateurs chinois déjeunent à l’extérieur au moins cinq fois par semaine, et 78 % d’entre eux dînent à l’extérieur au moins une fois par semaine. À cela s’ajoute l’existence d’un marché chinois de la livraison de repas à domicile en plein essor : durant le premier semestre 2015, les consommateurs ont dépensé plus de 1,8 milliard de dollars (soit 12 milliards de yuans) pour ces services en ligne.
L’épuisement professionnel des jeunes Chinois
La croissance soutenue du produit intérieur brut (PIB) chinois (près de 10 % par an depuis l’ouverture économique du pays engagée en 1978) a conduit à l’urbanisation du pays. Ce déplacement de la population des campagnes vers les villes a rendu le marché de l’immobilier et de l’emploi plus concurrentiels. De ce fait, les habitants s’écartent progressivement des centres-villes, tandis que la compétition sur le marché de l’emploi les pousse à travailler plus durement et plus longtemps. En moyenne, un employé chinois travaille entre 2000 et 2200 heures par an selon une étude réalisée par un chercheur de l’Université Normale de Pékin 北京师范大学, soit l’un des nombres les plus élevés au monde.
Il est courant pour les travailleurs débutants ou de niveau intermédiaire d’être surchargés de travail, ce qui a d’ailleurs été décrit comme un fléau. Ce phénomène est amplifié par la longue distance qui sépare les logements des lieux de travail, et ce, particulièrement dans les villes chinoises les plus développées comme Shanghai ou Pékin, où manger à l’extérieur ou commander un repas en ligne constituent des solutions rapides et pratiques au manque de temps et d’énergie pour cuisiner à domicile.
Les priorités du consommateur moderne
Les dépenses prioritaires des consommateurs chinois sont en train de changer. Avec l’apparence physique et l’acquisition d’un bon logement, « manger mieux » est devenue une priorité pour les consommateurs, constituant un poste de dépense majeur d’environ 25 %.
Beaucoup de millennials Chinois vivent seuls et loin de leurs familles, dans d’autres provinces ou villes, et ne savent tout simplement pas cuisiner comme leurs parents. Les individus deviennent de plus en plus spécialisés, si bien qu’ils externalisent les tâches de la vie quotidienne. Traditionnellement, les Chinois cuisinent rarement pour eux-mêmes ; une portion minimum de riz dans un autocuiseur et différents légumes nécessitent d’être préparés, ce qui ne correspond pas au mode de vie d’une personne seule. Et cela peut vite s’avérer plus cher que de manger à l’extérieur ou de se faire livrer, en raison du gaspillage alimentaire et des dépenses d’énergie (gaz, électricité).
L’amélioration de la qualité de vie pour beaucoup de Chinois grâce à la hausse des salaires (la Chine a sorti 800 millions de ses habitants de la pauvreté depuis les années 1980, selon la Banque Mondiale, atteignant ainsi les objectifs du millénaire fixé par les Nations-Unies en 2015) a eu pour conséquence l’augmentation de la part des nouvelles technologies et des voyages dans la vie quotidienne des Chinois ainsi qu’une prise de conscience mondialisée. Plus ouverts d’esprits, les millennials Chinois ont développé un goût pour les cuisines étrangères. Cela s’illustre notamment par la popularité grandissante des cuisines japonaise et coréenne, ainsi que les steaks australiens, auprès des consommateurs chinois. De plus, les boissons alcoolisées étrangères, telles que les vins et les whiskeys, ont vu leur popularité grandir récemment au détriment du traditionnel baijiu 白酒, un alcool chinois à base de riz. Les consommateurs chinois se tournent de plus en plus vers la cuisine occidentale, et les restaurants étrangers qui ciblaient initialement une clientèle d’expatriés disposent désormais d’une forte clientèle chinoise.
Le désir de mieux manger et de tester différentes cuisines, mais une incapacité à cuisiner, explique certainement la tendance grandissante des repas pris a l’extérieur ou livrés à domicile.
L’expérience de la sortie au restaurant
La nourriture occupe une place aussi centrale que particulière dans la culture chinoise. L’étiquette chinoise tiendrait son origine de la dynastie des Zhou周(1045 – 256 av. J.-C.). La gastronomie chinoise, la façon dont les ingrédients sont choisis et préparés, les ustensiles utilisés, les méthodes de cuisine, et la présentation des plats, étendent au-delà de la simple subsistance le cérémonial du repas. Partager un repas est l’un des principaux moyens de se socialiser, de faire des affaires, de renforcer ses relations, et d’honorer ses invités.
Cela se reflète dans divers aspects de la société chinoise. Dans les grandes villes chinoises, les centres commerciaux sont à la fois des lieux pour faire du shopping et pour se restaurer, un modèle économique issu d’un mélange de tradition chinoise et de modernité. La place centrale du repas dans la culture chinoise incite les consommateurs à manger en dehors de leur domicile.
Pour la génération Y en particulier, une des conséquences de la politique de l’enfant unique s’est traduite par un désir d’entretenir une vie sociale plus riche, en comparaison avec celle des générations précédentes. Au lieu de diner avec leur famille, les jeunes Chinois préfèreront manger à l’extérieur avec leurs amis. Pour les couples de cette génération, partager en repas à deux représente plus de 80 % de toutes leurs activités sociales. Le phénomène mondial de ces nouveaux gourmets ou foodies en anglais est aussi considérable en Chine. Un foodie est appelé chihuo吃货en Chine, un terme qui fait référence aux individus aimant goûter différents types de cuisine. Pour certains, c’est une véritable passion et les réseaux sociaux font partie intégrante de leur échange d’expérience. Environ 60 % des détenteurs de téléphone portable en Chine parlent de nourriture sur les réseaux sociaux, notamment en postant des photos de leurs plats.
Les joies de la livraison de repas à domicile
En seulement six mois, les utilisateurs de services de livraison sont passés de 114 millions en décembre 2015 à 150 millions en juin 2016, soit une augmentation de 32 %. En comparaison, sur la même période, le nombre d’utilisateurs de téléphones portables a augmenté de 41 %, passant de 104 à 146 millions. Le marché des services en ligne de livraison de repas à domicile en Chine est dominé par trois grands acteurs : Ele.me 饿了么, Meituan Waimai 美团外卖, et Baidu Waimai 百度外卖, qui détiennent respectivement 36,5 %, 30,5 % et 15 % des parts de ce marché.
Les millennials Chinois découvrent les joies de la livraison de repas à leurs domiciles et sur leurs lieux de travail. 176 millions de commandes ont été passées durant le premier trimestre 2015, soit une augmentation spectaculaire de 340 %. Même le café peut être livré pour moins de 10 yuans depuis la supérette la plus proche. Avec la popularité grandissante de ces services, Ele.me 饿了么 a réussi son augmentation de capital de plus de 600 millions de dollars pour atteindre les 3 milliards de dollars en 2015. Cette tendance de fond alimente l’un des traits caractéristiques de la jeune génération chinoise : la culture du zhai 宅, qui consiste à préférer rester confortablement chez soi, à naviguer sur internet ou jouer aux jeux vidéo. Pour la jeune génération chinoise, manger sans avoir à cuisiner n’a jamais été aussi facile. C’est donc sans surprise que les services de livraison capitalisent sur le désir de confort et de commodité des millennials. En plus de la gamme de services proposés, il existe une grande facilité de paiement grâce aux systèmes de paiement mobile tels qu’Alipay 支付宝 (Alibaba) ou WeChatWallet 微信钱包. Ces méthodes de paiement sont très répandues chez les jeunes Chinois.
Réduire la sensibilité au prix
Les seniors en Chine (âgés de plus de 55 ans) ont expérimenté la dure réalité de la révolution culturelle, des années 1960 au début des années 1970. Pour ce groupe démographique, la sobriété des dépenses d’alimentation trouve son origine dans cette période difficile, où la sécurité alimentaire n’était pas assurée. Cela explique pourquoi la classe d’âge des 55-65 ans, dans les villes de premier niveau, consacre la majeure partie de son budget à la nourriture et aux ingrédients de base, et une toute petite partie en dépenses discrétionnaires comme les sorties au restaurant. Au total, le taux de croissance annuel des dépenses liées aux sorties au restaurant est estimé a environ 10,2 % par an dans la prochaine décennie, contre seulement 7,2 % pour les dépenses en produits alimentaires de base. Cette croissance résulte de la sensibilité décroissante des Chinois de la génération Y aux prix, inversement proportionnelle à la hausse de leurs revenus disponibles.
Les jeunes Chinois préféreront manger au restaurant, ou commander des repas en ligne à leur domicile, non seulement car cela répond à leurs besoins de diversité alimentaire, de commodité et de socialisation, mais aussi et surtout parce qu’ils peuvent de plus en plus se permettre de le faire, plus souvent et en privilégiant la qualité des produits et des services.
Toutefois, le prix reste malgré tout un élément déterminant dans le choix d’un restaurant ; une étude de Goldman Sachs a démontré que la plupart des sondés ne souhaitent dépenser qu’entre 10 à 40 yuans pour un repas pris à l’extérieur.
Le manque de compétences en cuisine, un rythme de vie effréné et l’influence de la culture occidentale sont trois facteurs majeurs conduisant les jeunes Chinois à moins cuisiner. Les nouvelles technologies, via notamment le développement des services de livraison à domicile et les systèmes de paiement en ligne, occupent également une place déterminante et motrice dans cette nouvelle tendance, coïncidant avec le désir de commodité de la génération Y. Cependant, le facteur clé reste celui de l’augmentation des revenus de la jeunesse chinoise. Parallèlement, une autre tendance émerge : celle de la recherche d’une meilleure alimentation et d’un mode de vie plus sain, qui pourrait convaincre certains millennials à cuisiner de nouveau, en guise de loisir ou au quotidien. L’avenir est encore à écrire pour l’industrie alimentaire en Chine.
Voir aussi :
- Les attentes alimentaires de la jeune génération chinoise
- Notre dernière publication Facebook (Etude de cas sur le vin) :